Le projet Sorores promeut l’étude des religieuses non cloîtrées à partir de trois objectifs fondamentaux : (1) la définition d’une nouvelle approche historiographique du sujet, (2) la mise en valeur de nouvelles sources pour l’histoire des religieuses non cloîtrées (3) la création d’un groupe de recherche international à même de fédérer des recherches pour l’instant réalisées indépendamment les unes des autres.

(1) Il est désormais certain que les religieuses non cloîtrées n’appartenaient pas à des groupes marginaux, n’étaient pas foncièrement liées aux hérétiques, et ne regroupaient pas simplement des femmes « surnuméraires ». Ces clichés anciens sont pour l’essentiel liés au crédit accordé aux documents cléricaux qui ont souvent critiqué vertement ces groupes difficilement contrôlables (célèbre condamnation, par exemple, des béguines au concile de Vienne, 1312). Le poids d’une historiographie érudite essentiellement faite par les religieux appartenant à des ordres précis a aussi pesé sur l’histoire des mulieres religiosae : en donnant un relief prépondérant aux structures institutionnelles des ordres religieux, elle a fait, par contraste, des béguines, bizzoche et autres beatas des marginales et/ou des groupes essentiellement destinés à être « régularisés » par une intégration dans un ordre religieux. Il est donc impératif de distinguer le processus de régularisation des formes de vie religieuses féminines, qui apparaît nettement dans les documents canoniques à partir du XIII^e siècle, de la réalité de ces groupes de religieuses dont l’existence devrait être inscrite dans une longue durée ainsi que le propose notre projet, de façon distincte de l’histoire des ordres religieux, auxquels elles se rattachent parfois comme tertiaires, mais pas toujours, et comme un phénomène non marginal, mais au contraire intrinsèquement lié aux sociétés médiévales et modernes, en particulier urbaines.

(2) Cette volonté de renouvellement historiographique doit donc passer par l’étude et la publication de nouveaux corpus de sources qui viendront contrebalancer les sources institutionnelles habituellement mises en valeur. Les workshops dans des centres d’archives proposés par le projet répondent à cette exigence. Les corpus identifiés sont essentiellement composés de sources de la pratique (documents notariés, documents d’administration), de sources judiciaires, mais aussi de sources internes aux communautés, telles les chroniques ou les lettres. Ces sources mettent en valeur la vie de ces femmes, le fonctionnement des communautés, leur rôle dans les sociétés qui les accueillent et leur lien fonctionnel avec la société urbaine en général, et certaines familles en particulier. Les publications de sources devront fournir de nouveaux outils aux chercheurs, mais aussi permettre l’intégration de ces sujets dans les programmes d’études universitaires.

(3) Les formes de vie religieuses féminines non cloîtrées s’étendaient à toute la chrétienté occidentale, ainsi qu’un observateur privilégié du phénomène, l’évêque Jacques de Vitry, le met- tait en valeur dès la première moitié du XIIIe siècle : « Elles seront donc Beguina, comme on les nomme en Flandres et en Brabant, Papelarda, comme elles sont appelées en France, Humi- liata, comme on dit en Lombardie, ou Bizoke, selon ce que l’on dit en Italie, ou Coquennunne, comme on le fait en Teutonie ». Il conviendrait d’ajouter beaucoup d’autres noms à cette liste bien connue, dont les beatelle de l’Italie méridionale et les beatas de la péninsule ibérique. Il est aujourd’hui indispensable d’adopter un regard d’ensemble sur ce phénomène, ce qui n’a encore jamais été fait. La constitution de notre groupe, qui unit des chercheurs travaillant sur les terrains italiens, espagnols, français, néerlandais et allemands, et qui regroupe des représentants de différentes écoles historiographiques, en particulier française, canadienne, italienne, espagnole et allemande, rendra possible une fédération des recherches au niveau international, et une mise en commun des résultats obtenus.

Ces objectifs seront rejoints à travers trois axes de travail développés de manière contemporaines :

Axe 1 : Mener un ample chantier collaboratif de recherche, sur des ensembles documentaires ciblés pour leur exceptionnalité et le peu de travaux qui les ont mis en valeur. La démarche commune du groupe s’appuie sur des recherches en archives et leur diffusion, ce qui permettra de reconstruire et contextualiser des études de cas de groupes de femmes pratiquant une vie religieuse dans l’espace liminal entre l’Église et le monde séculier. Ces études de cas permettront un travail comparatif entre différents espaces de différentes dimension (de grandes villes telles Barcelone, Rome, Naples, mais aussi des villes moyennes, voire petites : Tolède, Spolète, Pesaro), ainsi que différents types de communautés (béguines/bizzoche, beatas, oblates). Le projet réserve aussi une place particulière aux sociétés insulaires méditerranéennes (Baléares, Malte, Sicile).

Les résultats des différentes recherches menées par les membres du groupe seront mis en commun grâce à trois journées d’études thématiques (Barcelone 2022, Graz 2023 et La Rioja 2024) qui permettront de partager les avancées de la recherche et de formuler les orientations et les étapes successives.

Les centres d’archives seront aussi un lieu de formation, puisque deux ateliers seront organisés en collaboration avec deux centres d’archives différents (2022 à Madrid, et 2023 à Jerez) où les membres (rencontres de type workshop) pourront travailler avec des chercheurs locaux, connaître de près les collections spécialisées et réaliser une étude comparative.

Axe 2 : Offrir une série de communications et de publications adressées à la communauté scientifique. Ces recherches permettront de formuler de nouvelles propositions et hypothèses, qui seront diffusés à la communauté scientifique à travers trois colloques internationaux en 2024 à Madrid (Casa de Velázquez), puis en 2025 à Montréal (UQAM) et en 2026 à Rome (École française de Rome). Ces colloques rassembleront les membres du projet ainsi que plusieurs experts des questions abordées par le projet et des chercheurs émergents.

Le colloque international de Madrid permettra également de jeter les bases d’un volume d’approfondissement sur les femmes religieuses non-cloîtrées entre le Moyen Âge et la période moderne et portera sur les expériences vécues à l’intérieur des communautés – espaces de vie, vie commune ou non, travail, activités liturgiques – et les relations de ces femmes avec l’Église. Auparavant, un numéro spécial permettra de présenter les divers chantiers d’archives à travers des études de cas, de poser une première série de problématiques de recherche et d’élaborer un cadre théorique commun.

Axe 3 : Créer des outils permettant l’enseignement et la diffusion des résultats de recherche aux étudiants universitaires et au grand public. Pour accompagner la production historiographique, une série d’initiatives de formation permettra de relayer la recherche vers l’enseignement universitaire et de l’élargir à une audience plus vaste. L’édition de sources représentatives de l’histoire des femmes religieuses non cloîtrées complétera les publications; elle fera l’objet d’une collaboration avec l’Istituto Storico per il Medioevo (ISIME) en 2026. L’édition papier sera accompagnée d’une édition numérique où seront en outre disponibles des images des documents et des traductions. Une école d’été sur le thème de l’édition numérique, destinée aux étudiants et chercheurs des universités et instituts membres du projet, sera organisée à Graz (Austrian Center of Digital Humanities) à l’été 2023, avec la collaboration des professeurs Cristina Andenna et Georg Vögeler. Cette école d’été sera insérée à l’intérieur de la première édition du programme de séminaires annuels organisés en ligne par l’UQAM.

Le programme de séminaires est un outil de formation à la recherche insérée dans le cursus des masterants et doctorants des universités et instituts membres à travers le suivi et l’approfondissement des travaux en cours de Sorores. Ces rencontres mensuelles alterneront la présentation et la discussion avec les étudiants de la recherche en cours par un membre de Sorores, et des activités de recherche dirigées à partir de sources et archives utilisées dans le cadre du projet. Le seminaire sera renouvelé chaque année, avec un contenu nouveau en fonction des actualités de la recherche et des avancements du projet. Sa tenue sur une plateforme d’enseignement en ligne, permettra aux étudiants des universités et instituts membres d’y participer conjointement.